Burn-out ? On achève bien les chevaux …
Cette première semaine d’un octobre ensoleillé et voilà deux nouveaux cas de burn-out.
Thierry, 60 ans, ingénieur hyper-actif et motivé depuis toujours. Cadre supérieur dans une grande entreprise, AVC.
Non ce n’est pas le nom de l’entreprise mais l’accident vasculaire cérébral qui l’a atteint et privé de l’usage de la parole durant des semaines. Thierry met clairement l’accident en lien avec le rythme de vie qui était le sien : six heures de sommeil, voyages, préparations .. son médecin a la même opinion.
On relativise peut-être quand on sait qu’il n’y aura que quelques semaines d’aphasie. Mais celui qui plonge dans ce tunnel muet ignore s’il a un bout. Thierry en est sorti touché, parole frêle, cognitivement instable, avec le même besoin de sommeil qu’un enfant de 5 ans. Il reprend la mer comme un navire qui a reçu une torpille juste sur la ligne de flottaison. L’entreprise doit l’accepter comme handicapé et le fait. Horaires diminués et salaire aussi, sieste à midi, homeworking parfois, un cocktail sur mesure. C’est bien mais c’est tout. Et encore, il n’est pas dit que sa position restera intacte, ni que le mi-temps médical tiendra la route.
Christelle, presque 20 ans de moins que lui, directrice de branche d’activités dans le tertiaire, génère tout l’ebitda de l’entreprise, habituée à ce qu’on ne croit pas en elle mais à le faire quand même. One woman show et trois pneumonies coup sur coup pour un diagnostic inattendu et formel : burn-out. Et de dire « J’avais toujours dit qu’il s’agissait du mal de ceux qui ne voulaient pas travailler, maintenant je sais. ». ITT de longue durée et changement de carrière en perspective.
L’un et l’autre avaient de beaux salaires et une envie forte de vivre intensément leur vie professionnelle comme privée. Qu’est-ce qui relie Thierry et Christelle ? Dans chaque cas la charge psycho-sociale n’a pas été évaluée, et leur santé non plus. Leur sac-à-dos a été rempli et rempli encore. Et comme le porteur du sac fanfaronnait, pas d’inquiétude. Mais il n’y a pas de miracle, le corps craque. On ne ferait pas ça à un cheval.
Ni l’employeur ni le médecin du travail ni le conseiller en prévention psycho-sociale n’ont pipé mot. Ni avant, ni pendant, ni après. Combien de temps encore faudra-t-il trouver cela normal ? Combien de temps encore la loi sur le bien-être ne sera-t-elle que l’occasion de créer des emplois-bidon de prétendu conseiller en ceci ou cela sans aucune obligation de résultat ni responsabilité ni même contrôle ? Bien sûr la victime est participante ou consentante, bien sûr, mais la vocation d’une loi n’est-elle pas précisément de protéger les rapports sociaux ? Sincèrement, le médecin du travail peut-il encore longtemps s’accoutumer de ce rôle de salarié sous-payé complice par omission ? Mais qu’est-ce qui l’empêche, sauf son employeur et le client de celui-ci, d’être réellement le donneur d’alerte, le veilleur vigilant, le penseur de la santé au travail ?
L’avocat sera ce sonneur de tocsin. Il y a tous les outils légaux mais ils ne sont pas encore inutilisés par la plupart des avocats qui les considèrent comme des directives de réglementation sociale sans effets directs dans les relations de travail. Rien ne justifie cette position. Si le juge veut bien s’intéresser encore à ce qui se passe dehors malgré son propre burn-out, la jurisprudence viendra rappeler qu’une faute est une faute et que si elle conduit à la maladie ou l’handicap du travailleur l’entreprise devra l’assumer.
L’idée n’est pas d’une législation plus « sociale » : derrière ces accidents ce sont des budgets de sécu qui y passent, des plus-values spécialisées qui s’évaporent au détriment de l’entreprise et trajectoires de vie abimées.
C’est un jeu qui ne fait que des perdants. Et puis sachez qu’il n’y a pas de médailles pour les héros du travail, juste un C4 pour force majeure médicale. Normal, on achève bien les chevaux.
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